Préjudice professionnel post-consolidation

29 janvier 2020



La jurisprudence et la nomenclature Dintilhac isolent deux postes de préjudices distincts s’agissant de la sphère professionnelle : les pertes de gains professionnels futurs (PGPF) et l’incidence professionnelle (IP).

En revanche, au stade de l’expertise, l’impact sur la vie professionnelle de la victime fait l’objet d’une évaluation globale dans un chapitre unique.

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I. Définition

❖  Perte de gains professionnels futurs :

« Il s’agit ici d’indemniser la victime de la perte ou de la diminution de ses revenus consécutive à l’incapacité permanente à laquelle elle est désormais confrontée dans la sphère professionnelle à la suite du dommage.

Il s’agit d’indemniser une invalidité spécifique partielle ou totale qui entraîne une perte ou une diminution directe de ses revenus professionnels futurs à compter de la date de consolidation. Cette perte ou diminution des gains professionnels peut provenir soit de la perte de son emploi par la victime, soit de l’obligation pour celle-ci d’exercer un emploi à temps partiel à la suite du dommage consolidé. Ce poste n’englobe pas les frais de reclassement professionnel, de formation ou de changement de poste qui ne sont que des conséquences indirectes du dommage.

En outre, concernant les jeunes victimes ne percevant pas à la date du dommage de gains professionnels, il conviendra de prendre en compte pour l’avenir la privation de ressources professionnelles engendrée par le dommage en se référant à une indemnisation par estimation. »

❖    incidence professionnelle :

« Ce poste d’indemnisation vient compléter celle déjà obtenue par la victime au titre du poste « pertes de gains professionnels futurs » susmentionné sans pour autant aboutir à une double indemnisation du même préjudice.

Cette incidence professionnelle à caractère définitif a pour objet d’indemniser non la perte de revenus liée à l’invalidité permanente de la victime, mais les incidences périphériques du dommage touchant à la sphère professionnelle comme le préjudice subi par la victime en raison de sa dévalorisation sur le marché du travail, de sa perte d’une chance professionnelle, ou de l’augmentation de la pénibilité de l’emploi qu’elle occupe imputable au dommage ou encore du préjudice subi qui a trait à sa nécessité de devoir abandonner la profession qu’elle exerçait avant le dommage au profit d’une autre qu’elle a dû choisir en raison de la survenance de son handicap.

Il convient, en outre, de ranger dans ce poste de préjudice les frais de reclassement professionnel, de formation ou de changement de poste assumés par la sécurité sociale et / ou par la victime elle-même qui sont souvent oubliés, alors qu’ils concernent des sommes importantes. Il s’agit des frais déboursés par l’organisme social et / ou par la victime elle-même immédiatement après que la consolidation de la victime soit acquise afin qu’elle puisse retrouver une activité professionnelle adaptée une fois sa consolidation achevée : elle peut prendre la forme d’un stage de reconversion ou d’une formation.

Là encore, le pragmatisme doit conduire à ne pas retenir une liste limitative de ses frais spécifiques, mais à l’inverse à inclure dans ce poste de préjudice patrimonial tous les frais imputables au dommage nécessaires à un retour de la victime dans la sphère professionnelle.

Ce poste de préjudice cherche également à indemniser la perte de retraite que la victime va devoir supporter en raison de son handicap, c’est à dire le déficit de revenus futurs, estimé imputable à l’accident, qui va avoir une incidence sur le montant de la pension auquel pourra prétendre la victime au moment de sa prise de retraite.

Comme pour l’indemnisation du poste précédent, il convient de noter que si les pertes de gains professionnels peuvent être évaluées pour des victimes en cours d’activité professionnelle, elles ne peuvent cependant qu’être estimées pour les enfants ou les adolescents qui ne sont pas encore entrés dans la vie active.

Une fois encore, la liste des préjudices à intégrer dans ce poste est indicative. Ainsi, il peut, par exemple, être prévu une indemnisation, au titre de ce poste, de la mère de famille sans emploi pour la perte de la possibilité, dont elle jouissait avant l’accident, de revenir sur le marché du travail. »

❖    Jurisprudence

La jurisprudence à propos de l’impact d’un évènement dommageable sur la sphère professionnelle de la victime est très abondante et concerne des sujets variés de sorte qu’il n’en sera pas dressé de revue complète. Pour exemple : 

  • Cass. 2ème Civ, 21 novembre 2013, n°12-26916 : une victime inapte à toute profession nécessitant une activité physique subit nécessairement une incidence professionnelle, même en l’absence d’activité professionnelle antérieure.

  • Cass. 2ème Civ, 16 janvier 2014, n°13-10566 et Cass. 2ème Civ, 21 novembre 2013, n°12-26916 : Indemnisation de l’incidence professionnelle même en cas de reconversion réussie.

  • Cass. Soc, 17 déc. 2014, n°13-12277 : L’avis d’inaptitude établi par le médecin du travail s’impose au juge. 

  • Cass. 2ème Civ, 25 juin 2015, n°14-21972 : indemnisation d’une jeune victime qui n’exerçait lors des faits aucune activité professionnelle ou estudiantine, car celle-ci n’était pas destinée à demeurer inactive toute sa vie.

II. Contenu

Il conviendra d’examiner le retentissement professionnel dans toutes ses dimensions :

  • Il conviendra d’examiner le retentissement professionnel dans toutes ses dimensions :

  • La perte de capacité de gains professionnels

  • La modification de l’activité professionnelle

  • L’accroissement de la pénibilité dans l’exercice de l’activité professionnelle

  • Le reclassement professionnel

  • Les restrictions professionnelles

  • La perte de promotion

  • L’incapacité de trouver ou de retrouver un emploi

  • Dévalorisation sur le marché de l’emploi

Il sera donc essentiel de procéder à une description et une évaluation précise de ces composantes.

Rappelons ici qu’un faible taux d’incapacité permanente n’exclut nullement un préjudice professionnel post-consolidation.

Les aspects financiers relèvent exclusivement des régleurs.

Les éléments factuels non financiers ont, en revanche, toute leur place au sein de l’expertise et doivent faire l’objet d’une description détaillée.

Exemples : 

  • La difficulté pour la victime à obtenir un stage de reconversion professionnelle

  • La perte du permis de conduire limite le champ des emplois possibles. 

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III. Mission d’expertise

❖  Perte de gains professionnels futurs et incidence professionnelle  :

Indiquer si le fait générateur ou les atteintes séquellaires entraînent l’obligation pour la victime de cesser totalement ou partiellement son activité professionnelle ou de changer d’activité professionnelle ou d’accéder totalement ou partiellement à une activité professionnelle. 

Indiquer si le fait générateur ou les atteintes séquellaires entrainent d’autres répercussions sur l’activité professionnelle actuelle ou future de la victime (obligation de formation pour un reclassement professionnel, pénibilité accrue dans son activité professionnelle, dévalorisation sur le marché du travail), perte ou réduction d’aptitude ou de compétence, perte de chance ou réduction d’opportunités professionnelles. 

Dire, notamment, si l’état séquellaire est susceptible de générer des arrêts de travail réguliers et répétés et/ou de limiter la capacité de travail. 

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IV. METHODE D’EVALUATION

L’évaluation du préjudice professionnel devra s’effectuer en deux étapes : la description de l’environnement et des perspectives professionnelles pré-accidentels, puis l’analyse du retentissement professionnel consécutif à l’accident.

❖  Description de l’environnement et des perspectives professionnelles pré-accidentels

  • Préalablement à la réunion d’expertise

Le conseil de la victime s’attachera à rendre compte de l’environnement professionnel dans lequel évoluait la victime avant l’accident, ou les perspectives professionnelles qui étaient les siennes même si elle ne travaillait pas au moment de l’accident.

Si une fiche de poste existe elle devra être produite. 

Les évaluations professionnelles pré et post accident et les documents de formation devront également être recueillis.

Par ailleurs, la victime et son conseil pourront établir une fiche de « journée professionnelle type » décrivant le plus précisément possible les différentes étapes de la journée de travail de la victime avant l’accident. 

Exemple : Madame X, secrétaire de mairie

Transport : trajet de 200m à pied pour rejoindre la bouche de métro, escaliers à descendre pour accéder au métro, escaliers à monter et à descendre pour changer de métro, escaliers à monter pour sortir du métro, trajet de 100m à pied pour rejoindre la mairie, marches à monter pour entrer.

Position sur le poste de travail : position assise, travail sur poste informatique, nécessité de se lever à de nombreuses reprises pour accéder à des documents, pour accueillir le public.
Port de charges de plusieurs kilos (dossiers papier), nécessité de se baisser et de se redresser pour le port des documents.

 

Le même travail doit être réalisé pour les conditions d’exercice professionnel post-accident surtout lorsque l’activité a été modifiée ou abandonnée. Seront éventuellement fournies la nouvelle fiche de poste, les évaluations de la médecine du travail et de la MDPH (RQTH). 

 

  • Au cours de la réunion d’expertise

 

Il appartient aux médecins de rechercher si le dommage entraîne pour la victime des conséquences spécifiques dans la sphère professionnelle.

Certaines préconisations de l’AREDOC peuvent être acceptées dans leurs principes : 

« Le médecin demandera à la victime des précisions sur son activité professionnelle afin de mieux en cerner les contours (conditions de travail, sédentaire ou non par exemple). Il conviendra d’éviter l’usage de termes génériques très flous (fonctionnaire, salarié) qui ne rendent pas compte de l’activité réellement exercée et de bien préciser la nature du poste occupé et le mode d’exercice de l’activité (salarié, profession libérale, commerçant, artisan, agriculteur, etc.). »[1]


❖  Retentissement professionnel consécutif à l’accident

Le médecin devra se poser essentiellement la question de savoir si un retentissement professionnel existe et quelle est sa nature.


Les questions essentielles sont les suivantes :

  • la situation vis à vis de l’emploi, préalable à l’accident, s’est-elle modifiée ? Si oui comment ?

  • des aptitudes ou des compétences, (des qualifications ou autorisations) ont-elles été perdues ? (ex : perte des permis, un diplôme à revalider, etc...)

  • des chances ont-elles été perdues en termes de carrière ou d’opportunités professionnelles ?

  • l’accès sur le lieu de travail et l’exercice professionnel exigent-il un effort ou des difficultés supplémentaires ? Est-il susceptible de générer des arrêts de travail réguliers et répétés ?

  • des frais de reclassement, de formation ou d’adaptation du poste ont-ils été ou seront-ils nécessaires ?  

Le tableau suivant est proposé afin de mesurer précisément chaque composante du retentissement professionnel. Certaines composantes pourront être écartées lorsqu’elles seront sans rapport avec la situation personnelle de la victime. 

  • Précisions

  • Des séquelles spécifiques peuvent entraîner une inaptitude sur le plan légal ou réglementaire à certaines professions, essentiellement pour des motifs de sécurité. Ce sont, par exemple, certains déficits visuels ou une comitialité. L’expert ne peut qu’entériner ces inaptitudes légales ou réglementaires.

Si une victime présentait avant le fait générateur une capacité professionnelle déjà réduite, des séquelles modérées voire minimes peuvent entrainer une incapacité professionnelle totale.  

  • Problématique du pourcentage d’incidence professionnelle : l’avocat de la victime peut souhaiter, dans certains cas, que l’incidence professionnelle soit traduite par un pourcentage. Cette demande est légitime mais se heurte actuellement à une difficulté technique, aucun référentiel ne permettant de fixer un tel pourcentage, qui se distingue à la fois du taux d’incapacité du DFP, des taux fixés par l’organisme social en matière d’accident du travail ou d’invalidité, et des évaluations prévues par certains barèmes contractuels.

En l’état actuel des connaissances et des techniques, la fixation d’un pourcentage d’incidence professionnelle ne peut donc résulter que d’une analyse spécifique à chaque situation, qui peut être engagée en expertise et poursuivie en phase de règlement.


[1] AREDOC Mission d’expertise médicale 2009 mise à jour 2014, commentaire du point 18-1. 


Les autres documents ANADOC sur le préjudice professionnel post-consolidation :