Préjudice permanent exceptionnel

10 juillet 2020



Conscient des limites de toute nomenclature, le groupe de travail Dintilhac a prévu un poste extra-patrimonial permanent destiné à reconnaître des préjudices atypiques non pris en compte dans un autre poste.

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I. Définition

Il s’agit d’un préjudice extrapatrimonial post-consolidation à la fois pour la nomenclature Dintilhac et pour la jurisprudence.

❖        Rapport Dintilhac

 Il importe de rappeler à la fois la définition et les notes de bas de page qui permettent de l’expliciter.

Définition :

« Lors de ses travaux, le groupe de travail a pu constater combien, il était nécessaire de ne pas retenir une nomenclature trop rigide de la liste des postes de préjudice corporel.

Ainsi, il existe des préjudices atypiques qui sont directement liés aux handicaps permanents, dont reste atteinte la victime après sa consolidation et dont elle peut légitimement souhaiter obtenir une réparation.

À cette fin, dans un souci de pragmatisme — qui a animé le groupe de travail durant ses travaux —, il semble important de prévoir un poste “préjudices permanents exceptionnels” qui permettra, le cas échéant, d’indemniser, à titre exceptionnel, tel ou tel préjudice extrapatrimonial permanent particulier non indemnisable par un autre biais.

Ainsi, il existe des préjudices extrapatrimoniaux permanents qui prennent une résonnance toute particulière soit en raison de la nature des victimes (1), soit en raison des circonstances ou de la nature de l’accident à l’origine du dommage (2).”  

 Notes :

 “(1) : C’est notamment le cas pour la personne d’origine japonaise victime d’un dommage à la colonne vertébrale en France, qui est alors dépourvue de la faculté de s’incliner pour saluer, signe d’une grande impolitesse dans son pays d’origine.

 (2) Il s’agit ici des préjudices spécifiques liés à des événements exceptionnels comme des attentats, des catastrophes collectives naturelles ou industrielles de type « A.Z.F »

 

❖        JURISPRUDENCES

- Cass., 2ème civ., 16 janv. 2014, n°13-10566 – publié au bulletin : « Le poste des préjudices permanents exceptionnels indemnise des préjudices extrapatrimoniaux atypiques, directement liés au handicap permanent qui prend une résonnance particulière pour certaines victimes en raison soit de leur personne, soit des circonstances et de la nature du fait dommageable, notamment de son caractère collectif pouvant exister lors de catastrophes naturelles ou industrielles ou d’attentats ; »

Jusqu’à présent, les juges du fond ont retenu très peu de situations exceptionnelles, mais aucune reconnaissance concrète d’un tel poste n’a été validée par la Cour de Cassation, puisque la démonstration que les atteintes ne relevaient pas d’un autre poste n’avait pas été faite.

La Cour considère que les atteintes particulières qui lui étaient soumises relevaient d’autres postes de préjudices et notamment des souffrances permanentes, qui doivent être décrites au titre du déficit fonctionnel permanent.

Ont ainsi été écartées les situations suivantes :

-        Cass., 1ère civ., 28 juin 2012, n°11-19.265 : l’impossibilité psychologique de subir des nouvelles interventions chirurgicales,

-        Cass., 2ème civ., 16 janvier 2014, n°13-10.566 : l’impact psychologique des séquelles visibles,

-        Cass., 2ème civ., 11 septembre 2014, n°13-10.691 : les souffrances psychologiques liées à une agression par un proche,

-        Cass., 2ème civ., 2 mars 2017, n°15-27.523 : l’impossibilité de poursuivre un mandat de conseiller municipal,

-        Cass., 2ème civ., 13 décembre 2018, n°18-10.276 : les souffrances psychiques liées à la prostitution forcée et à la traite d’êtres humains.

Il est important de noter que dans la plupart des affaires jugées par la Cour de cassation, l’expertise médicale ne permettait pas clairement de distinguer le poste d’un autre chef de dommage. La caractérisation expertale est donc une étape essentielle pour la reconnaissance de ce poste.

En revanche, les juges du fond ont retenu certaines situations très variées (obligation de se sédentariser pour un membre de la communauté du voyage ; impossibilité de continuer de faire de missions humanitaires sur le terrain ; impossibilité de réaliser la prière dans la position rituelle musulmane, impossibilité du père de dialoguer avec son fils sourd et muet en utilisant le langage des signes…) comme constitutives d’un préjudice permanent exceptionnel. Ces jurisprudences sont explicitées en annexe. 

La question du préjudice permanent exceptionnel résultant d’un attentat ou d’un événement collectif n’a pas été tranchée à ce jour (ne pas confondre avec la question du préjudice d’angoisse qui n’est pas un préjudice permanent).

II. Contenu

Comme son nom l’indique le poste concerne la période post consolidation pour les aspects extrapatrimoniaux.

Il est délicat d’en synthétiser le contenu puisqu’il se caractérise lui-même par sa dimension atypique.

Défini par exclusion, ce poste ne sera retenu que s’il est étranger aux autres postes expressément répertoriés dans la nomenclature.

Il importe donc de ne pas le confondre avec l’ampleur exceptionnelle d’un autre préjudice.

Cette constatation renvoie à la nécessité de suffisamment caractériser la dimension exceptionnelle d’un poste répertorié (DFP, préjudice d’agrément, préjudice esthétique permanent) lorsqu’elle existe, sans craindre d’écarter ou de dépasser une échelle barémique devenue inappropriée au cas d’espèce.

III. Mission d’expertise

- Dire si la victime subit des atteintes permanentes atypiques qui ne sont prises en compte par aucun autre dommage précédemment décrit ;

- Dire si l’état de la victime est susceptible de modifications en aggravation ;

- Établir un état récapitulatif de l’ensemble des postes énumérés dans la mission ;

- Adresser un pré rapport aux parties et à leurs Conseils qui dans les 5 semaines de sa réception lui feront connaître leurs éventuelles observations auxquelles l'Expert devra répondre dans son rapport définitif.

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IV. Méthode d’évaluation

L’expertise doit décrire très précisément les atteintes exceptionnelles qui ne paraissent pas relever d’un autre poste.  

L’expert doit attirer l’attention des régleurs sur une situation qui lui parait ne pas relever d’un autre poste.

Ici, plus encore que pour les autres postes, les conclusions de l’expertise ne peuvent constituer qu’une simple proposition faite aux régleurs ou aux juges à qui il appartiendra seul de prendre la décision de retenir un poste exceptionnel.

Sous cette réserve une approche méthodologique peut être suggérée.

En reprenant un exemple donné par la nomenclature Dintilhac, l’évaluation du poste reposera sur une méthode différentielle en quatre étapes.

  • 1ère étape : recueil de doléances atypiques

Exemple : « Je suis de nationalité japonaise, dans mon pays on s’incline pour saluer. Je ne peux plus le faire et c’est une discrimination permanente pour moi »

  • 2ème étape : vérification de l’imputabilité du trouble

Exemple : « Existence de séquelles dorsales post-traumatiques empêchant toute inclinaison, expliquant la gêne sociale ressentie par la victime. »

  • 3ème étape : vérification de l’absence de prise en compte dans un autre poste de préjudice

Exemple : « Le déshonneur social ressenti par cette personne ne relève :

-        Ni de la gêne fonctionnelle

-        Ni des douleurs permanentes

-        Ni des troubles ordinaires dans les conditions d’existence.

Conclusion : le dommage n’est pas inclus dans le déficit fonctionnel permanent.

Il ne relève pas non plus :

-        Du préjudice esthétique

-        Du préjudice d’agrément

-        Du préjudice d’établissement »

  • 4ème étape : Descriptif précis

Exemple : « Préjudice permanent exceptionnel (proposition): les séquelles imputables empêchant toute inclinaison du dos ont une résonnance particulière pour Monsieur X en raison de sa nationalité japonaise et de l’importance apportée dans son environnement social au salut mutuel par inclinaison du dos.

Cette répercussion exceptionnelle n’a été prise en compte dans aucun autre poste de dommage ».

À l’inverse si les médecins-évaluateurs considèrent que le dommage doit être pris en compte au titre d’un autre poste, cette résonnance particulière devra faire l’objet d’un descriptif précis au sein de cet autre poste.

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V. ANnexe

  • Annexe n° 1 – Exemples de jurisprudences


[1] note de bas de page


 

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