Préjudice esthétique avant consolidation

6 janvier 2020



Avec le rapport du groupe de travail Dintilhac, les atteintes physiques durant la maladie traumatique relèvent d’une indemnisation autonome, au titre du préjudice esthétique temporaire, marquant leur indépendance avec d’autres postes, tels que le déficit fonctionnel temporaire, les souffrances endurées et le préjudice esthétique permanent.  

Cette évolution vise à prendre en compte toutes les altérations perceptibles par la vue, l’ouie, l’odorat et le toucher depuis le fait dommageable jusqu’à la consolidation des dommages. 

Si les grands brûlés et les traumatisés de la face sont assurément concernés, la jurisprudence refuse de consacrer une quelconque exclusivité aux conséquences physiques graves, et intègre toutes les atteintes esthétiques au sein de ce poste de préjudice[1].   

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I. Définition

❖   Rapport Dintilhac

 « Il a été observé que, durant la maladie traumatique, la victime subissait bien souvent des atteintes physiques, voire une altération de son apparence physique, certes temporaire, mais aux conséquences personnelles très préjudiciables, liées à la nécessité de se présenter dans un état physique altéré au regard des tiers.

Or ce type de préjudice est souvent pris en compte au stade des préjudices extrapatrimoniaux permanents, mais curieusement omis de toute indemnisation au titre de la maladie traumatique où il est pourtant présent, notamment chez les grands brûlés ou les traumatisés de la face.

Aussi, le groupe de travail a décidé d’admettre, à titre de poste distinct, ce chef de préjudice réparant le préjudice esthétique temporaire ».

 

❖   Cour de cassation 

  - Cass., Civ., 2ème, 7 mars 2019, Bull, n° 17-25855 : le préjudice esthétique temporaire est caractérisé par « l’existence d’une altération de l’apparence de la victime avant la date de la consolidation de son état de santé »[2].

II. Contenu

Compte tenu de ce qu’exige la Cour de cassation, si l’expert constate l’existence d’une atteinte esthétique avant la consolidation de la victime, autrement dit pendant la maladie traumatique, il doit faire figurer un poste autonome, même en l’absence de doléances de la part de la victime. 

Le préjudice esthétique temporaire ne doit pas être confondu avec : 

1)    Les souffrances endurées 

Le préjudice esthétique temporaire est indépendant de l’indemnisation des souffrances physiques et morales pour la période antérieure à la date de consolidation[3]

2)    Le déficit fonctionnel temporaire 

« Le préjudice esthétique temporaire n’est pas inclus dans le poste de préjudice du déficit fonctionnel temporaire, et doit être indemnisé séparément »[4].

3)    Le préjudice esthétique permanent 

« Le préjudice esthétique temporaire est un préjudice distinct du préjudice esthétique permanent et qui doit être évalué en considération de son existence avant consolidation de l’état de la victime »[5]

Une controverse sur l’autonomie ? 

Certains ont cru relever une divergence entre la deuxième Chambre civile et la Chambre criminelle de la Cour de cassation sur l’autonomie du préjudice esthétique temporaire[6]

En réalité, cette autonomie est très largement dominante en jurisprudence. Il s’agit d’une position constante, et non isolée. Le caractère autonome du préjudice esthétique temporaire a été reconnu par la Cour de cassation dès 2010, et a depuis été réaffirmé à plusieurs reprises tant par la deuxième Chambre civile que la Chambre criminelle (Cass., Civ., 2ème, 3 juin 2010, n° 09-15.730[7] ; Cass., Civ., 2ème, 4 février 2016, Bull., n° 10-23.378[8], Crim, 12 février 2013, n° 12-82584, Crim, 4 avril 2018, n° 17-80297).

Certes, un arrêt isolé rendu par la Chambre criminelle en 2014 avait admis qu’un préjudice esthétique temporaire et un préjudice esthétique permanent équivalent seraient indemnisés en un même poste, mais ceci ne dispense pas l’expert de décrire un préjudice esthétique temporaire, bien au contraire[9]. En effet, la fusion éventuelle de deux postes ne peut relever que du pouvoir du juge et ne peut donc pas être décidée par l’expert.

L’expert qui omettrait un préjudice esthétique temporaire, s’expose dans ce cas-là, à ce que le juge contredise ses conclusions et le réintroduise[10]

III. Mission d’expertise

Décrire les altérations esthétiques de toute nature, leur localisation, leur étendue, leur intensité et leur durée depuis le fait dommageable jusqu’à la consolidation. 

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IV. Méthode d’évaluation

À partir de son examen (notamment lorsqu’il est pratiqué avant sa consolidation), mais aussi de photographies et du dossier médical, l’expert doit décrire les paramètres objectifs, tels que la nature, l’ampleur et la durée des atteintes esthétiques. 

 

❖   Critères

1)    Nature  

Ces atteintes prennent des formes très diverses : il peut s’agir de plaies, de cicatrices, de brûlures, d’hématomes, de pansements, de paralysies, de l’altération de l’apparence générale, de la démarche, de la modification de la voix, de l’utilisation de fixateurs externes, de béquilles, de cannes, d’attelles, d’un fauteuil roulant…

Une personne en réanimation subit aussi un préjudice esthétique temporaire : le patient est alité et une ventilation artificielle ou une dialyse peut être nécessaire[11].

Ce poste de préjudice ne concerne pas uniquement l’apparence visible, mais également la perception des atteintes par les autres sens, tels que l’odorat[12] ou l’ouïe (aphonie et voix éraillée[13]). La Cour de cassation a, par exemple, reconnu « qu’un bégaiement constaté médicalement avant la date de consolidation » était indemnisé au titre du préjudice esthétique temporaire[14].

2)    Ampleur 

Les altérations pouvant être très diverses, il convient pour l’expert d’en détailler les caractéristiques. Ainsi, il doit préciser leur taille, leur couleur, leur aspect visuel, sonore ou olfactif et la zone corporelle concernée. 

Plus les altérations sont perceptibles, vastes et disgracieuses, plus le préjudice est important. À l’inverse, une atteinte discrète et dissimulable s’apparentera à un préjudice plus léger.  

 

3)    Durée 

Le préjudice esthétique temporaire est caractérisé par des altérations qui évoluent dans le temps et ce dès l’hospitalisation et varient d’une période à une autre. L’expert doit donc faire état de ces différents stades. 

Par exemple, le processus de cicatrisation d’une plaie est complexe et peut être particulièrement long. En fonction des diverses phases évolutives, les cicatrises se transforment[15].

De même, une chirurgie réparatrice peut considérablement réduire les blessures, mais la victime aura malgré tout subi une altération temporaire de son apparence.

 

❖   Formulation et cotation 

Évaluation in abstracto : cotation 

Concernant son évaluation, elle relève des mêmes difficultés que les souffrances endurées, car les atteintes sont variables dans le temps. Cependant, cette fluctuation n’est pas un motif permettant d’écarter l’échelle allant de nul (0) à très important (7). 

Pour rappel : inexistant (0), très léger (1), léger (2), modéré (3), moyen (4), assez important (5), important (6), très important (7).  

L’évaluation de ce poste de préjudice s’effectue à partir de cette échelle. Afin d’obtenir l’indemnisation la plus proche du dommage, l’expert doit détailler précisément les différentes atteintes corporelles en indiquant leur évolution dans le temps. 

La cotation se rapproche de celle du préjudice esthétique permanent : l’idée est de reprendre l’échelle en pondérant en fonction de la durée. Par souci de simplification, un lissage par grande période peut être effectué. Par exemple, une boiterie avec l’usage de deux cannes anglaises pendant 6 mois et une boiterie simple avec l’usage d’une canne pendant 3 mois, correspond à une seule période de 9 mois, à lisser à 2,5 ou 3 sur 7 selon les autres critères.

Description des éléments in concreto 

Dans la mesure où il est établi de longue date que les médecins n’évaluent ce préjudice que de façon « objective » sans prendre en compte l’âge, le sexe ou tout autre paramètre personnel, il est souhaitable que l’expert note qu’il n’a pas pris en compte tous les éléments permettant d’évaluer le préjudice esthétique. 

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V. Exemple de conclusion

Homme de 67 ans, victime d’un accident de la circulation :

-   4/7 pour 50 jours, correspondant à la période d’hospitalisation au CHU : pour les cicatrices, drains, aides techniques, pansements, les tuméfactions du visage

-   3/7 pour 10 mois et demi, correspondant à la période d’hospitalisation à domicile : pour les cicatrices, aides techniques, boiterie 

-   2,5/7 jusqu’à la consolidation : pour les cicatrices, aides techniques, boiterie 


[1] M-C. Lagrange, Le préjudice esthétique, un poste de préjudice en évolution : Gaz. Pal., 21-22 juin 2013, n°172 à 173

[2] C. Bernfeld, Le préjudice esthétique permanent ne se confond pas avec le préjudice esthétique temporaire, Gaz. Pal. 14 Mai 2019, n°18

[3] Cass., civ. 2ème, 3 juin 2010, n° 09-15.730

[4] Civ., civ., 2ème, 4 février 2016, Bull., n°10-23.378

[5] Cass., civ., 2ème, 7 mai 2014, n°13-16.204

[6] Aredoc, « La lettre d’information de la COREIDOC, Le préjudice esthétique temporaire »

[7] C. Bernfeld, Reconnaissance de l’autonomie du poste « préjudice esthétique temporaire », Gaz. Pal., 6 au 10 août 2010 n°218 à 222 (chronique JP)

[8] C. Bernfeld, Autonomie du préjudice esthétique temporaire, Gaz. Pal., 20 septembre 2016 n°32 (chronique JP)

[9] Crim, 18 février 2014, Bull., n°12-87.629

[10] Cass., civ., 2ème, 27 avril 2017, n°16-17.127

[11] M-C. Lagrange, Le préjudice esthétique, un poste de préjudice en évolution : Gaz. Pal., 21-22 juin 2013, n°172 à 173

[12] P. Robertière, L’esthétique de l’odeur : Gaz. Pal 21-22 juin 2013, n°172 à 173

[13] La Cour de cassation a, par exemple, reconnu « qu’un bégaiement constaté médicalement avant la date de consolidation » était indemnisé au titre du préjudice esthétique temporaire (Cass., Civ., 2ème, 22 novembre 2012, n°11-25.661).

[14] Cass., Civ., 2ème, 22 novembre 2012, n°11-25.661

[15] J-C BICHET, La cicatrice cutanée : du traumatisme à la cicatrisation : Gaz. Pal 21-22 juin 2013, n°172 à 173


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