Préjudice d’établissement

10 juillet 2020



Ce poste concerne l’impossibilité de fonder une famille et tend également à prendre en compte les bouleversements de la vie familiale de la victime, cette dernière pouvant subir un préjudice d’établissement même si elle a déjà des enfants.

Bannière.png

I. Définition

❖        Rapport Dintilhac

 « Ce poste de préjudice cherche à indemniser la perte d’espoir, de chance ou de toute possibilité de réaliser un projet de vie familiale "normale" en raison de la gravité du handicap permanent dont reste atteint la victime après sa consolidation : il s’agit de la perte d’une chance de se marier, de fonder une famille, d’élever des enfants et plus généralement des bouleversements dans les projets de vie de la victime qui l’obligent à effectuer certaines renonciations sur le plan familial.

 Il convient ici de le définir par référence à la définition retenue par le Conseil national de l’aide aux victimes comme la "perte d’espoir et de chance de normalement réaliser un projet de vie familiale (se marier, fonder une famille, élever des enfants etc.) en raison de la gravite du handicap".

 Ce type de préjudice doit être apprécie in concreto pour chaque individu en tenant compte notamment de son âge ».

❖        jurisprudences

-        Cass., 2ème civ, 12 mai 2011 n°10-17.148 ; Cass. 2ème civ, 4 oct. 2012 n°11-24.789 : le préjudice d’établissement ne se confond pas avec le préjudice sexuel et le préjudice d’agrément. 

-         Cass., 2ème civ., 13 janvier 2012, n°11-10.224 : le préjudice d’établissement est distinct du déficit fonctionnel permanent.

-        Cass., 2ème civ., 15 janv. 2015, n° 13-27.761 : le préjudice d’établissement recouvre aussi la perte de chance pour la victime, déjà mariée et père de deux enfants avant l’accident, de réaliser un nouveau projet de vie familiale.

-        Cass., 2ème civ., 21 janvier 2016, n°15-10.731 : le préjudice d’établissement peut exister même si la victime avait déjà un ami et vivait chez ses parents.

-        Cass., 1ère civ., 11 janvier 2017, n°15-16.282 : La Cour de cassation juge que la renonciation à une grossesse, même pour des raisons psychologiques constitue un préjudice d’établissement indemnisable.

-        Cass., 2ème civ., 8 juin 2017, n°16-19185 : Le préjudice d’établissement n’existe plus lorsqu’une adoption a pu permettre de mener une vie familiale et affective, en revanche les contraintes personnelles et les frais liés à la procédure d’adoption sont indemnisables.

-        CA Paris, Pôle 2, ch. 3, 10 décembre 2018, n°17-03.266 : Le préjudice d’établissement peut exister en l’absence de préjudice sexuel.

-        Cass., 1ère civ., 23 janvier 2019, n°18-10.662 : Le préjudice d’établissement est distinct de l’impossibilité de procréer réparée par ailleurs.

-        La jurisprudence reconnait parfois une situation de gravité justifiant un préjudice d’établissement même quand les taux d’incapacité sont faibles ou nuls (cf. annexe).

II. Contenu

Le préjudice d’établissement ne doit pas être confondu avec :

-        le préjudice d’agrément

-        le préjudice sexuel

-        le déficit fonctionnel permanent dans sa dimension intégrant les troubles dans les conditions d’existence personnelles, familiales et sociales

Il peut se manifester sous diverses formes (cf. annexe) :

  • Altérations des chances de rencontrer ou de rester avec un partenaire :

-        Impossibilité ou difficulté à rencontrer un partenaire notamment pour des raisons d’ordre psychologique, neurologique, comportementale, esthétique, d’une limitation de ses capacités motrices ou sensorielles, de difficultés sociales, telle que l’impossibilité de se déplacer en véhicule personnel

-        Majoration du risque de rupture du lien existant

-        Difficulté à créer un couple stable

  •  Impossible aboutissement d’un projet parental :

-        Renonciation à un projet de grossesse 

-        Perte de chance ou impossibilité d’avoir un premier ou un autre enfant

  • Altération de son rôle parental et familial :

-        Rupture d’un lien familial

-        Modification de la cohésion familiale qui n’est plus empreinte de projets et de réalisation

-        Altération du rôle de la victime au sein de la structure familiale en rapport avec une incapacité physique ou cognitive

-        Altération du rôle dans l’éducation et la sécurité des enfants (ex : perte d’envie et d’initiative, troubles du comportement, incapacité à prendre les enfants dans ses bras…)

-        Altération de ses relations avec ses petits enfants nés ou à naître

-        Impossibilité de réunir une famille juridiquement séparée ou de voir sa demande de droit de garde accueillie

III. Mission d’expertise

 Décrire et préciser dans quelle mesure la victime subit dans la réalisation ou la poursuite de son projet de vie familiale : 

-        une perte d’espoir,

-        une perte de chance,

-        une perte de toute possibilité

Bannière.png

IV. Méthode d’évaluation

Il n’existe pas d’échelle de cotation mais il appartient à l’expert de décrire la nature et l’ampleur du préjudice en tenant compte de l’âge de la victime, de son mode de vie familial et de ses aspirations antérieures sur le plan familial.

L’expert doit préciser dans quelle mesure les séquelles physiques et/ou psychologiques de la victime affectent sa vie familiale.

Pour ce faire, l’expert pourra s’appuyer sur les éléments strictement médicaux ainsi que sur les doléances de la victime qui devront être intégrées ou annexées au rapport.

La victime doit être soigneusement interrogée sur les modifications de sa vie familiale y compris quant à ses projets. Des informations écrites ou orales peuvent également être recueillies auprès des membres de la cellule familiale proche notamment en cas de cérébro-lésions.

Deux types de situations peuvent alors se présenter :

-        Dans le cas où il existe un lien évident entre l’impossibilité de fonder une vie familiale et les séquelles, le préjudice d’établissement peut être constaté d’emblée par l’expertise ;

-        Dans le cas où les facteurs non médicaux sont prépondérants cette constatation doit être expressément renvoyée aux régleurs. Il importe alors à l’expert de fournir le maximum d’informations utiles quant au mode de vie de la victime et aux répercussions concrètes des séquelles objectivées et de prendre note fidèlement des déclarations de la victime sur le sujet.

Bannière.png

VI. ANnexe

  • Annexe n° 1 – Exemples de jurisprudences


[1] note de bas de page


Les autres documents ANADOC sur le préjudice d’établissement