Déficit fonctionnel temporaire

22 janvier 2020



Présent du jour du fait traumatique jusqu’à la consolidation, le Déficit Fonctionnel Temporaire concerne toutes les perturbations subies par la victime dans sa sphère personnelle pendant la maladie traumatique.

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I. Définition

❖    Rapport Dintilhac :

« Ce poste de préjudice cherche à indemniser l’invalidité subie par la victime dans sa sphère personnelle pendant la maladie traumatique, c’est à dire jusqu’à sa consolidation. Cette invalidité par nature temporaire est dégagée de toute incidence sur la rémunération professionnelle de la victime, laquelle est d’ailleurs déjà réparée au titre du poste “Pertes de gains professionnels actuels”.

A l’inverse, elle va traduire l’incapacité fonctionnelle totale ou partielle que va subir la victime jusqu’à sa consolidation. Elle correspond aux périodes d’hospitalisation de la victime, mais aussi à la “perte de qualité de vie et à celle des joies usuelles de la vie courante” que rencontre la victime pendant la maladie traumatique (séparation de la victime de son environnement familial et amical durant les hospitalisations, privation temporaire des activités privées ou des agréments auxquels se livre habituellement ou spécifiquement la victime, préjudice sexuel pendant la maladie traumatique, etc.). »[1]

❖    Jurisprudence :

  • Cass. 2ème civ, 28 mai 2009, n°08-16.829 publié le Bulletin : Le déficit fonctionnel temporaire inclut « pour la période antérieure à la date de consolidation, l’incapacité fonctionnelle totale ou partielle ainsi que le temps d’hospitalisation et les pertes de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante durant la maladie traumatique ».

  • Cass. 2ème civ, 11 déc. 2014, n°13-28.774 : le DFT indemnise le préjudice sexuel pendant la maladie traumatique

  • Cass, 2ème civ, 5 mars 2015, n°14-10.758 ; Cass, 2ème civ 27 avril 2017, n°16-13.740 : le DFT indemnise la privation temporaire des activités d’agrément.

  • Cass. 2ème civ, 8 déc. 2016, n°13-22.961 : La Cour de cassation précise que le DFT ne peut être retenu au-delà de la consolidation.

  • Cass 2ème civ, 18 mai 2017, n°16-11.190 : La privation des plaisirs de la jeunesse ou préjudice juvénile est incluse dans le DFT.

❖    Invalidité, incapacité, déficit ?

Avant la nomenclature DINTILHAC, les médecins évaluaient la durée de la période d’incapacité temporaire totale ou partielle (I.T.T. et I.T.P) et son importance par le biais d’un taux en pourcentage.

La nomenclature a ajouté à cette dimension purement médicale et objective les répercussions dans la vie quotidienne (vie sexuelle, sports et loisirs...).

Le D.F.T. est donc plus large que la notion antérieure s’agissant de la sphère personnelle mais il exclut tous les aspects professionnels.

La seule notion d’I.T.T. qui subsiste est l’Incapacité Totale de Travail Personnel, notion pénale qui répond à des critères différents[2].

II. Mission d’expertise

Indiquer les périodes pendant lesquelles la victime a été, du fait de son déficit fonctionnel temporaire, dans l’incapacité totale ou partielle de poursuivre ses activités personnelles habituelles ;

En cas d’incapacité partielle, préciser le taux et la durée ;

Dire s’il a existé au surplus une atteinte temporaire aux activités d’agrément, de loisirs, aux activités sexuelles ou à tout autre activité spécifique personnelle (associative, politique, religieuse, conduite d’un véhicule ou autre...).

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III. Méthode d’évaluation

❖     Problématique actuelle :

Certaines préconisations de l’AREDOC peuvent être acceptées dans leurs principes et notamment les suivantes :

« 1. La gêne temporaire totale : c’est la période pendant laquelle la victime a été dans l’impossibilité totale de réaliser ses activités personnelles (dont ludiques et sportives) ou très restreinte dans les activités essentielles de la vie, pendant son hospitalisation ou à son domicile.

A l’hôpital, dans le cadre d’une hospitalisation conventionnelle totale ou d’une hospitalisation partielle de jour, la gêne est considérée comme totale dès lors que la victime est assistée pour les différents actes essentiels de la vie. Quand la victime est à domicile, la gêne est totale dès lors qu’elle est immobilisée sans pouvoir sortir pour des raisons médicales imputables aux lésions initiales et à leur évolution.

2. La gêne temporaire partielle : c’est la période pendant laquelle la victime a repris tout ou partie de ses activités personnelles (dont ludiques et sportives).
Cette période ne fait pas nécessairement suite à une période de gêne temporaire totale. Elle peut en effet débuter immédiatement après l’accident. Elle est assez fréquente et concerne plus spécifiquement les victimes de traumatismes mineurs ou ne touchant qu’une seule région corporelle. Cette gêne partielle, dégressive par nature, en fonction de l’évolution des lésions, doit faire l’objet d’un descriptif précis qui figurera au chapitre concerné dans le rapport d’expertise intitulé « retentissement personnel ».
»

Pour la gêne temporaire partielle l’AREDOC[3] propose la classification suivante[4] :

  • « Classe IV » de l’ordre de 75 % de la gêne totale

  • « Classe III » de l’ordre de 50 % de la gêne totale

  • « Classe II » de l’ordre de 25 % de la gêne totale

  • « Classe I » de l’ordre de 10 % de la gêne totale

L’AREDOC met en garde les médecins sur la confusion possible entre ces taux et ceux qui sont utilisés pour l’AIPP :

« La tentation est grande de fixer un taux en pourcentage mais il convient de rappeler que les gênes temporaires partielles ne sont pas une AIPP temporaire. En effet le DFT comporte non seulement les gênes fonctionnelles mais également les conséquences temporaires sur l’agrément et la vie sexuelle, ce qui n’est pas le cas de l’AIPP (le préjudice d’agrément et le préjudice sexuel définitifs sont des postes autonomes). »[5]

Pourtant en pratique on constate dans de nombreuses expertises que les médecins examinateurs raisonnent pour les gênes temporaires sur les mêmes critères de taux que pour l’AIPP.

Au surplus la pratique réduit à quatre taux fixes les incapacités temporaires, empêchant d’évaluer les répercussions concrètes dans la vie quotidienne du blessé (préjudice sexuel, agrément temporaire, perturbations familiales, etc.).[6]

❖    Comment résoudre cette difficulté ? La méthode ANADOC :

Les trois principes de base :

  • Le dernier taux de DFT ne peut jamais être inférieur à la composante incapacitaire du DFP.

  • L’évaluation du DFT ne peut pas se réduire à la méthode des classes pour garantir une évaluation personnalisée et prenant en compte les conditions d’adaptation de la victime à sa situation post-

    traumatique.

  • Les postes personnels avant consolidation (préjudice d’agrément temporaire, préjudice sexuel

    temporaire, etc.) sont inclus et non pas dissous dans le DFT.

Avant même l’expertise la victime doit être invitée, si possible, à décrire le plus précisément possible les gênes ressenties avant consolidation. Annexée au rapport un document écrit pourra :

  • Soit être préparé avec l’aide des proches, surtout en cas d’anosognosie.

  • Soit reprendre le questionnaire d’atteinte à la qualité de vie qui devra être envoyé en même temps que l’invitation à expertise.

Les médecins rédacteurs sont invités à suivre la méthode suivante :

Le médecin devra période par période :

  • Estimer d’abord l’importance de l’incapacité fonctionnelle (physique ou psychique)[7],

  • Ensuite, à partir des déclarations du blessé décrire le retentissement sur :

    • Son quotidien,

    • Ses activités sportives et de loisirs,

    • Sa vie sexuelle.

    • Toute autre activité évoquée : associative, religieuse, etc.

Pour conclure à un taux de déficit fonctionnel temporaire global intégrant non seulement les atteintes fonctionnelles mais également toutes les atteintes spécifiques (loisirs ordinaires, loisirs spécifiques, vie sexuelle, vie sociale, activités religieuses, etc.) et les données particulières à la victime (âge, milieu de vie, composition familiale, etc.).

Lorsque certaines composantes ne sont pas incluses dans ce taux la rédaction du rapport devra être explicite sur la non inclusion dans le taux des éléments de type personnel et des éléments spécifiques liés à l’âge et aux conditions de vie. Le descriptif des atteintes supplémentaires non incluses dans le taux devra être repris intégralement à chaque fois que le taux sera cité et notamment dans les conclusions du rapport.

Les thématiques à explorer systématiquement :

  • Interaction entre âge et atteintes fonctionnelles (exemples : impossibilité pour une personne âgée d’utiliser les béquilles prescrites),

  • La séparation de la victime de son environnement familial et amical durant les hospitalisations et le confinement à domicile,

  • Les troubles dans les conditions d’existence (cohabitation pendant l’hospitalisation, dépendance, impossibilité de sortir librement, temps passé en rééducation...),

  • Le préjudice d’agrément spécifique temporaire (impossibilité ou gêne à pratiquer les activités sportives ou de loisir)

  • Le préjudice d’établissement temporaire (altération du rôle parental et familial...),

  • Le préjudice sexuel temporaire (ne pas pouvoir embrasser son partenaire en raison de lésions dentaires,

    lourdeurs du bassin...),

  • La privation ou la perturbation des activités sociales (sorties, perturbations des activités associatives...),

  • La privation ou la perturbation des activités religieuses,

  • Atteinte aux libertés (mise sous tutelle ou curatelle, etc.)

Le préjudice sexuel temporaire pendant l’hospitalisation et la convalescence :

  • Une gêne, une limitation ou une impossibilité physique de pratiquer l’acte sexuel, seul ou en couple

    • Atteinte anatomique des organes sexuels

    • Toute atteinte physique : qui induit une gêne positionnelle, douleurs...

    • Prescription de médicaments : en lien avec le fait générateur ayant un impact sur la sexualité

  • Une gêne, une limitation ou une impossibilité psychique de pratiquer l’acte sexuel, seul ou en couple

    • Mécanismes psychiques invalidants : Réviviscences de l’agression en situation d’acte sexuel

    • Une perte ou une diminution de l’envie, du plaisir : honte, image dévalorisée du corps, dépression...

    • Modification des relations sexuelles : sexualité exacerbée, débridée, voire violente...

    • Impact de l’accident sur la sexualité du couple : rejet, éloignement, peur de se blesser ou de blesser le partenaire.


[1] Certains passages sont surlignés par nos soins

[2] Civ. 2ème, 19 novembre 2015, n° 14-25519

[3]  Association pour l’étude de la Réparation du Dommage Corporel réunissant les médecins conseils de compagnies d’assurances

[4] et [5] AREDOC : « Mission d’expertise médicale 2009 mise à jour 2014, point 12 les gênes temporaires constitutives d’un déficit fonctionnel temporaire (DFT) »

[6] Le tableau d’exemple proposé par l’AREDOC dans sa fiche a contribué à figer le préjudice en une classe et un taux unique en omettant les éléments d’ordre personnel (loisirs, agrément, situation familiale, sexualité, âge, activités sociales...).

[7] En pratique, comme l’explique le docteur PAPELARD dans la « Revue Française de Dommage Corporel » le taux d’incapacité temporaire, qui correspond au degré d’atteinte à l’intégrité corporelle de la victime, débute nécessairement à 100 % en période d’hospitalisation pour décroître peu à peu jusqu’à se stabiliser au taux de l’incapacité permanente. Il ne peut donc pas être inférieur au taux d’invalidité définitif. (« Réflexions sur la consolidation », A Papelard, Rev. Fr. Dommage Corp. 2003-1, 47-52.)


Les autres documents ANADOC sur le déficit fonctionnel temporaire :